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Inde

26.03.2012, Asia Times

Un anticancéreux à la portée de (presque) tous

New Delhi a autorisé un laboratoire indien à produire le générique d'un médicament utilisé dans le traitement du cancer, dont le brevet appartient aux laboratoires Bayer. Après le Brésil et la Thaïlande, l'Inde est le 3e gouvernement au monde à prendre une telle initiative.

La décision du gouvernement indien de recourir à la "licence obligatoire" pour produire une version générique d’un anticancéreux des laboratoires Bayer est une première dans le sous-continent indien. Elle permettra certainement de sauver des vies. La licence obligatoire est un dispositif de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui permet à un pays de contourner les droits de propriété pour fabriquer et distribuer à moindre coût des médicaments susceptibles de sauver des vies, trois ans après leur mise sur le marché Bayer détient un brevet 2008-2020 sur le médicament en question. L'OMC autorise chaque pays à définir ses règles en matière de licence obligatoire.

En l'occurrence, l'Inde s'est fondée sur le prix du médicament produit par Bayer proportionnellement au revenu indien moyen. Le 12 mars dernier, le bureau indien des brevets a déclaré que le Nexavar était inaccessible à une majorité d'Indiens. Breveté sous le nom de Sorafenib aux Etats-Unis en 1999, le Nevaxar est utilisé dans le traitement contre le cancer du foie et des reins en stade avancé. Rejetant les arguments du groupe pharmaceutique Bayer – qui vend le Nexavar presque 5 500 dollars –, les autorités ont calculé qu'un mois de traitement représente trois ans et demi du salaire le plus faible dans la fonction publique indienne. A la suite de la décision du bureau des brevets, une entreprise indienne basée à Hyderabad, Natco Pharma, aura le droit de vendre le Nevaxar à 172 dollars la dose (soit 120 comprimés pour un mois de traitement). D'après les estimations du gouvernement, ce prix représente toujours le double du revenu mensuel d'une famille indienne urbaine de cinq personnes dont les revenus sont au-dessus du seuil de pauvreté. Natco distribue ce médicament gratuitement à près de 600 patients chaque année. La société indienne paiera des royalties au groupe Bayer à hauteur de 6 % du revenu des ventes.

Le groupe pharmaceutique basé à Pittsburgh a indiqué qu'il examinait de possibles recours judiciaires pour contrer cette décision qui permettrait à l'Inde de vendre son médicament à 3 % de son prix originel. Il s'agit d'un coup dur pour cette entreprise, censée diminuer les souffrances humaines, qui génère près de mille milliards de dollars de profit. Sa réaction n'a d'ailleurs pas tardé, certains responsables affirmant que cette initiative risquait d'affecter les investissements dans la recherche.

Les patients atteints d'un cancer et le personnel soignant expriment, eux, davantage de gratitude. "J'ai été très heureux d'apprendre que Natco allait obtenir une licence obligatoire pour fabriquer cet anticancéreux de Bayer", a déclaré Y. K. Sapru, président et fondateur de l'Association d'aide aux malades du cancer (CPAA) basée à Bombay. "Tous les traitements anticancéreux brevetés récemment coûtent extrêmement cher. On peut citer deux exemples typiques : Herceptin pour le cancer du sein et Glivec pour la leucémie myéloïde chronique. Ces deux traitements coûtent environ 200 000 roupies presque 3 000 euros par dose mensuelle", écrit-il dans un courrier électronique.

Y. K. Sapru sait de quoi il parle, lui qui a fait sa carrière professionnelle dans l'industrie pharmaceutique. Ancien directeur marketing du groupe pharmaceutique britannique John Wyeth & Brother, il a pris sa retraite en 1999 quand il a quitté son poste de directeur exécutif chez le géant Johnson & Jonhson. Pour lui, l'initiative du bureau des brevets indien devrait conduire à l'application de la licence obligatoire pour tous les traitements inabordables en Inde.

D'après l'Indian Council of Medical Research, l'Inde compte plus de 2,8 millions de malades du cancer. Chaque année, près de 700 000 nouveaux cas sont enregistrés et près de 350 000 patients en décèdent. La décision du gouvernement indien pourrait révolutionner le traitement de certaines maladies mortelles et alléger le fardeau non seulement des patients mais aussi de centaines de milliers de familles ruinées par le coût de certains médicaments.

L'exemple de la Thaïlande, second pays à demander une licence obligatoire en 2006, après le Brésil en 1996, nous donne une idée des résistances que l'Inde va devoir affronter de la part des groupes de pressions, gouvernementaux ou commerciaux, qui défendent les droits à la propriété intellectuelle en Europe et aux Etats-Unis. Selon le règlement des autorités thaïlandaises, le groupe pharmaceutique américain Merck devait toucher des royalties à hauteur de 0,5 % du prix originel de son médicament Stocrin, prescrit dans le traitement du sida. Merck a immédiatement proposé de réduire son prix de vente de moitié. "Nous estimons que les licences obligatoires ne devraient être utilisées que dans des circonstances exceptionnelles, en cas de crise sanitaire nationale par exemple", explique Ranjit Shahani, directeur de Novartis. "Si l'on abuse de ce dispositif, c'est toute l'industrie pharmaceutique qui en souffrira et, à terme, les patients. Cela risque de décourager l'investissement dans la recherche pour de nouveaux traitements."

La décision des autorités indiennes met-elle en péril le développement de nouveaux médicaments plus efficaces ? Représente-t-elle un juste équilibre entre l'allègement des souffrances des patients et la négation des droits de propriété d'une entité ? Ancien représentant de l'industrie pharmaceutique, Y. K. Sapru a changé de camp après qu'un de ses amis eut été admis au Tata Memorial Hospital de Bombay, le meilleur centre d'oncologie du pays depuis 1941. Parmi les patients se trouvait une petite fille, Jaya Jhabbar, atteinte de leucémie. Sa famille n'avait pas les moyens de payer son traitement, avant que Sapru et ses amis réunissent des fonds pour elle. La petite fille a été sauvée et Sapru a fondé l'association CPAA.

Les patients ne sont pas les seules victimes de la maladie, il y a aussi leurs familles. Les proches n'ont en effet pas de logement où rester quand ils accompagnent un patient pour un traitement dans une autre ville. Les frères et sœurs doivent parfois arrêter l'école et les parents n'ont plus le temps de travailler au moment où ils ont le plus besoin d'argent. Un homme d'affaires de la classe moyenne de Calcutta s'est retrouvé à vendre des pommes de terre dans la rue à Bombay après la faillite de son entreprise et alors qu'il devait continuer à payer pour le traitement de sa fille. Dans leur quête de profit, les responsables marketing ne se réjouissent pas à l'idée de pouvoir alléger des souffrances et sauver des vies… du moins, peut-être, jusqu'à ce qu'un de leurs proches soit touché par la maladie. Raja Murthy

En savoir plus: Génériques : la plainte de Bayer contre le gouvernement indien est rejetée

Bayer: Feu vert indien pour un générique anticancer

13.03.2012, New Delhi - Le géant allemand de la chimie-pharmacie, Bayer, a indiqué mardi qu'il recherchait une parade au feu vert indien accordé à un groupe local pour la production d'un générique anticancer beaucoup moins cher que celui qu'il fabrique.

Le chef du bureau indien des brevets de médicaments a autorisé lundi un groupe local à produire un médicament breveté de Bayer servant à prolonger la vie de patients atteints d'un cancer avancé du foie ou des reins.

A cet égard, il a demandé à Bayer de fournir une "licence obligatoire" à l'indien Natco Pharma pour la production du médicament Nexavar. C'est la première fois que l'Inde recourt à la "licence obligatoire" pour un médicament breveté.

En vertu d'un accord de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en matière de règles concernant la propriété intellectuelle et le commerce, les licences obligatoires servent à surmonter les obstacles pour l'accès à des médicaments bon marché.

Natco devra payer à Bayer des royalties de l'ordre de 6% sur les ventes nettes du Nexavar et vendre 8800 roupies (175 dollars) ce médicament qui se prend en dose mensuelle.

Ce montant représente une baisse de 97% du prix pratiqué par Bayer en Inde, soit 280'000 roupies par mois, un prix jugé "exorbitant" par le chef du bureau indien des brevets, P.H. Kurian.

Cette décision a été saluée par l'organisation Médecins Sans Frontières: selon l'une de ses responsables, Michelle Childs, c'est un "avertissement aux compagnies pharmaceutiques pour leur montrer que lorsqu'elles pratiquent des prix astronomiques, il y a des conséquences".