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Bhopal

12 décembre 2014
Coordination contre les méfaits de BAYER

30 ans après Bhopal : « C’est de pire en pire »

Le 3 décembre 1984, dans une usine de pesticides appartenant à Union Carbide, 30 tonnes d’isocyanate de méthyle explosaient, et un nuage de gaz se déployait sur le quartier misérable entourant l’usine. À elle seule la « nuit du massacre » fit 8000 morts. La catastrophe continue à faire des victimes, car aucun travail de décontamination n’a été effectué. Anabel Schnura a fait un stage de trois mois dans une clinique de Bhopal et témoigne de la situation locale.

Où as-tu travaillé, au juste ?
Anabel Schnura: À Bhopal, à la Sambhavna Trust Clinic, qui soigne les victimes d’Union Carbide. Et qui ne se contente pas de soigner les gens sur place, mais se bat pour que les coupables rendent des comptes.

La clinique ne soigne que les victimes de Bhopal ?
Oui, cela fait 29 000 patients.

Et il en arrive toujours de nouveaux ?
Oui, parce que le poison s’est fixé dans les gènes et que la nappe phréatique est contaminée. Aujourd’hui ce sont les générations suivantes qui ont des problèmes. La majorité souffre d’atteintes aux voies respiratoires et aux poumons. Mai il y a aussi des cas de cancer et de cécité.

Que faisais-tu concrètement ?
Nous avons collaboré avec les Health Workers. Ils se rendent régulièrement dans les communautés et les bidonvilles pour informer et sensibiliser sur place les gens qui n’arrivent pas à venir à la clinique. Ils les mettent en garde, entre autres, contre la consommation de l’eau et leur expliquent ce qu’ils risquent : des éruptions cutanées etc.

On n’a jamais cherché à nettoyer les sols et à décontaminer la zone en général ?
Non, 30 ans après la première nuit, le spectacle n’a pas changé. On n’a rien nettoyé, on trouve encore des bouteilles de chloroforme qui traînent juste à côté des bidonvilles. Et en mai dernier, il y avait des élections, mais personnes n’était autorisé à pénétrer dans cette zone, parce qu’on discute toujours de ce qui pourrait arriver.

Union Carbide n’a rien fait non plus ?
L’entreprise a versé quelques petits dommages et intérêts, mais elle n’a rien fait de vraiment tangible. Puis en 2001 elle a été vendue et appartient désormais à Dow Chemical, qui estime « ne plus rien avoir à faire là-dedans » Comme pour cette raison les produits chimiques continuent à s’infiltrer dans le sol, la nappe phréatique est polluée. Et les gens boivent l’eau, car il n’y a pas beaucoup de réservoirs. Ils utilisent cette eau pour se laver, laver leur nourriture - bref, pour tout.

C’est une histoire sans fin.
Oui. Pendant la première nuit et juste après, environ 20 000 personnes ont péri, et maintenant 100 000 sont touchées. C’est de pire en pire. En 2007, deux scientifiques ont effectué une étude pour évaluer le degré de contamination du sol et de la nappe phréatique. Et nous avons un peu poursuivi l’expérience avec un simple fil de cuivre, qui permet de voir s’il y a ou non contamination, mais pas d’en mesurer le degré. L’entourage immédiat est pollué, on le sait, mais nous devrions maintenant voir dans quelle mesure la zone contaminée continue à s’étendre.

On ne dit pas non plus : Si nous ne pouvons pas décontaminer, au moins nous allons loger les occupants ailleurs ?
Bhopal a 1,8 million d’habitants. Tant de gens s’entassent sur un si petit espace qu’on ne peut pas les déplacer. Bhopal est coupé en deux par des lacs. Il y a d’une part la vieille ville et d’autre part la ville nouvelle. L’explosion a eu lieu dans la vieille vile, où se trouvent les bidonvilles. Les gens qui y vivent ne peuvent se permettre de déménager. Ceux qui habitent de l’autre côté disent : « ce n’est pas notre affaire, c’est la leur. » Ils ne s’aventurent pas du côté où s’est produite l’explosion, parce que la criminalité y est plus élevée et qu’il y règne une grande pauvreté. Et c’est chez eux qu’on reconstruit et qu’on embellit.

L’usine était vraiment en plein milieu de la zone?
Oui, nous habitions à 500 m à vol d’oiseau de l’ancienne usine. Nous sommes aussi allés la voir. C’est tout simplement une ruine gigantesque, avec une barrière tout autour, et pleine de trous. Et juste à côté de la barrière, les gens vivent dans leurs cabanes de tôle ondulée. Ils y cultivent ce qu’ils mangent, et bien sûr tous leurs aliments sont contaminés. Beaucoup sont très ignorants. Nous avons fait la connaissance d’un homme d’un certain âge, qui vivait dans l’autre Bhopal, mais qui était politisé et qui connaissait l’histoire de Bhopal. Et pourtant, il allait nager tous les jours dans le lac pollué ; nous, nous avons dit : « Seigneur, jamais nous ne ferions ça ! » Et puis, ils ferment tous un peu les yeux et pêchent du poisson dans les lacs. Un jour, nous avons mangé de ce poisson, un médecin nous a vus et nous a passé un bon savon : comment pouvions-nous manger ça !

N’y a-t-il pas des partis qui disent : si nous arrivons au pouvoir, nous ferons quelque chose ?
Si, il y en a, mais ce sont de très petits partis. La femme du directeur de la clinique est membre de l’AAP, le « Parti des petites gens. ». Elle œuvre pour qu’on entame des travaux de décontamination

Si à Bhopal un parti déclare ; « Nous voulons qu’on fasse enfin quelque chose », on pourrait pourtant penser qu’il aura des électeurs ?
Les gens des bidonvilles sont pratiquement ignorants, ceux qui ne le sont pas vivent de l’autre côté et ils ferment les yeux et disent « ce n’est pas notre affaire, nous on habite ici et on est en sécurité ». Et voilà Modi qui arrive et qui raconte aux paysans qu’il va leur mettre l’électricité et l’eau courante. Et ils le croient. Il est à la télé, il est partout, sur des affiches magnifiques. Pourquoi aller voter pour une petite bonne femme avec un balai à la main, qui vous dit : « Je me bats pour vos droits » alors que de l’autre côté il y a un monsieur riche qui vous promet que « vous aurez l’électricité et l’eau courante. »

Le 30ème anniversaire changera-t-il quelque chose ?
La clinique projette déjà d’organiser à nouveau des actions de grande ampleur. On espère qu’il va se passer quelque chose. Mais quel sera le résultat ? Personne n’en sait rien. Et il faut aussi voir jusqu’à quel point les autorités toléreront des actions politiques.

Il y a 5 ans, pour le 25ème anniversaire de la catastrophe, l’Initiative pour Bhopal a organisé une caravane. Deux de leurs étapes ont été les sites de Bayer à Leverkusen et à Institute, aux USA, car le site de fabrication appartenait originellement à Union Carbide et l’usine jumelle était située à Bhopal. Lors d’une explosion à Institute en 2008, on a frôlé une catastrophe de type Bhopal.
Oui, ils ont déjà fait plusieurs tournées, dont l'une à travers les USA.