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Cancer

Novethic, 11/01/2011

Le cycle idiot du cancer

Bayer, BASF, Monsanto, Dupont, etc.…Les plus grandes sociétés pétrochimiques sont aussi les plus grandes sociétés biochimiques et les plus grandes sociétés pharmaceutiques…Une aberration qui nourrit le « cycle idiot du cancer », dénonce la réalisatrice franco-hispano-canadienne Emmanuelle Schick-Garcia dans un documentaire –« The idiot cycle »- qui fait le tour du monde, hors des circuits habituels de distribution. Entretien avec une cinéaste engagée.

Quel est le « cycle idiot » qui donne son titre à votre film ?
Emmanuelle Schick-Garcia. C’est un jeu de mot avec le « cycle de vie » et « le cycle de la vie » qui montre qu’il y a une sorte de régénération des mêmes problèmes provoqués par les mêmes gens, en l’occurrence les plus grandes compagnies pétrochimiques qui sont aussi les plus grandes compagnies de biotechnologies (OGM), qui rejettent des substances cancérigènes comme le benzène ou la dioxine, et les plus grandes compagnies pharmaceutiques, qui sont censées soigner les cancers. Ce n’est pas forcément un fait exprès mais elles ne font rien non plus pour arrêter un tel cycle car il est très bénéfique financièrement. Avant de commercialiser leurs produits, elles pourraient faire davantage de tests mais elles ne le font pas. Pas nécessairement par manque d’argent mais d’abord parce qu’elles sont dans une course contre la montre permanente pour sortir de nouveaux produits avant les autres. Et puis, les débouchés pharmaceutiques du cancer sont aussi pour ces firmes une raison de ne pas interrompre le cycle : ce sont les médicaments qui traitent le cancer qui sont les plus rentables actuellement. Chez Pfizer, ils en sont même à développer de tels produits pour les animaux ! Pour les contraindre à la prévention, je ne crois pas beaucoup aux effets des politiques RSE. Il est nécessaire d’avoir une pression règlementaire.

Concernant cette règlementation justement, vos interlocuteurs dans le documentaire font une différence entre les pays d’Amérique du nord et l’Union européenne, qui a notamment adopté Reach. Après avoir filmé des deux côtés de l’Atlantique, qu’en pensez-vous ?
Selon moi, Reach ne va pas vraiment protéger les gens car tous les produits chimiques qui existent déjà vont rester dans leur corps. De plus, il s’agit d’un registre des substances chimiques, mais cela n’implique pas qu’elles soient toutes automatiquement testées ou qu’elles seront interdites. J’ai l’impression que l’Europe se rapproche au contraire progressivement de l’Amérique du nord ; les mêmes tactiques se mettent en place. Or, au Canada, il faut savoir que le gouvernement ne peut pas retirer de lui-même un produit qui pose des problèmes sanitaires ; il doit demander aux compagnies de le faire…Avant pourtant, le Canada était précurseur dans la protection des consommateurs.

Parmi ces tactiques, vous montrez notamment le lobbying des laboratoires pharmaceutiques auprès des autorités, des scientifiques, journalistes et des étudiants…
Il y a une banalisation des conflits d’intérêts dans le monde scientifique : les compagnies font pression sur les journalistes, les scientifiques, ils ont des dossiers sur toutes les personnes qui les intéressent et savent se mettre en relation avec eux. Les chercheurs et professeurs travaillent comme consultants pour les entreprises. Aujourd’hui il y a très peu de laboratoires indépendants comme la fondation Ramazzini que nous sommes allés voir pour « the idiot cycle » et qui est financée par les citoyens. Et les firmes pratiquent un lobbying sur les gens de plus en plus tôt. Au Canada, beaucoup de thèses universitaires sont financées grâce à des entreprises et parfois, ce sont ces mêmes entreprises qui les utilisent pour en faire des brevets. En Europe cela va être de plus en plus le cas sachant qu’il y a une réduction des financements publics au profit des investissements privés… Et des firmes, comme Bayer, développent également des actions de communications pour les élèves du primaire ! Il faudrait faire un autre film spécifique sur l’industrie pharmaceutique mais il reste très difficile de faire parler la plupart des compagnies du secteur.

Votre documentaire est très axé sur la responsabilité que portent les entreprises concernant le cancer. Mais vous montrer aussi les conséquences, en filmant votre mère qui en a elle-même été victime, ou les populations riveraines des industries pétrochimiques…
Oui car c’est une façon de casser le tabou créé par ces entreprises sur les effets de leurs produits sur la santé. Par exemple, pour les OGM, il existe très peu d’études sur leur impact sur la santé, et souvent les scientifiques qui les mènent de façon indépendante sont licenciés ou écartés… Dans leurs communications, les entreprises évitent tout le temps le sujet. Même chez les associations contre le cancer, on se pose peu de questions sur les causes de la maladie. De plus tout l’argent récolté ne va pas à la recherche : pour faire des actions avec le ruban rose par exemple, il faut payer des royalties ; aux Etats-Unis, une marche de trois jours a été organisée pour lutter contre le cancer du sein mais derrière, il y a avait une marque de maquillage qui utilisait des substances cancérigènes ! Cela permet de divertir l’attention des gens des causes du cancer. Il y a tout un business autour de la maladie…Les seuls à ne pas profiter de ce cycle idiot sont les contribuables -qui payent pour la dépollution, l’assurance maladies, etc- et les malades.

Votre film est autoproduit. Etait-ce une volonté de votre part pour rester indépendante ? Comment cela impacte-t-il sa distribution ?
Oui, c’était un vrai choix. J’ai emprunté à ma famille pour faire ce film. Pour moi cela n’aurait eu aucun sens de le faire financer par des entreprises, comme peut le faire par exemple Nicolas Hulot. Ce type de documentaire intéresse également peu les télévisions qui préfèrent, selon ce que m’a dit un distributeur, les films historiques ou sur la nature… Or cela a tendance à rassurer le public et les programmateurs, qu’un documentaire ait la caution de la TV. Mais Al Jazeera vient de l’acheter pour le diffuser en anglais et espagnol. Des Russes sont aussi intéressés, mais personne en France.
Par ailleurs, il circule beaucoup dans les universités d’Europe, des Etats-Unis et du Canada et dans des petites salles indépendantes. A chaque fois on fait le plein ! Mais pour l’Amérique du nord nous avons été un peu bloqués car, sur simple lecture du script, on nous a refusé l’assurance E&O (erreurs et omissions) nécessaire pour se prémunir contre les poursuites en diffamation ou celles appelées SLAPP par exemple. Dans ce cas nous risquons des procès où les entreprises qui estimeraient que le film aurait un impact négatif sur leur activité nous demanderaient une grosse somme d’argent (voir article lié).

Ce film a-t-il été produit de manière « écologique » ?
Pour ce documentaire, j’ai choisi de faire tous les déplacements européens en train, de réduire les déplacements en avion pour la promotion. Et, même si cela ne plaît pas à tout le monde, le film ne sera pas distribué en DVD car j’ai trop vu l’impact de la fabrication des plastiques qui les composent. Pour l’instant, il n’est disponible qu’en streaming et notre site est alimenté à 100% par de l’énergie solaire. Propos recueillis par Béatrice Héraud