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AGFA

Historia Mensuel, par Baudouin Eschapasse

Agfa, Bayer, IG Farben sous l‚emprise de la couleur

Fleuron de l‘industrie chimique allemande, Agfa invente la pellicule couleur en 1936. De quoi donner grise mine à son concurrent américain Kodak. Une réussite technologique entachée par la collaboration active avec le régime nazi dès 1933.

Le poids de l‚Histoire est parfois bien lourd à porter… Dans certaines entreprises allemandes, la période nazie constitue une tache indélébile que les propriétaires actuels aimeraient bien souvent effacer. Mais comment oublier ? Le passé d‘Agfa est de ceux-là qui mêlent le meilleur et le pire !

Tout avait pourtant si bien commencé. Fondée en 1867, l‚entreprise berlinoise AktienGesellschaft Für Anilinfarben (Société par actions pour la fabrication d‘aniline), plus simplement surnommée Agfa, avait tout d‚une success story industrielle. Spécialisée à l‘origine dans le domaine des colorants utilisés dans les teintures pour vêtements comme dans les peintures, la firme se reconvertit, dès 1888, dans le domaine jugé plus porteur et plus prometteur de la photographie, sous l‚impulsion de ses fondateurs : les chimistes Paul Mendelssohn-Bartholdy et Carl Alexander von Martius.

La progression de la photographie – inventée par le Français Nicéphore Niépce en 1816 – est foudroyante. Améliorée par un autre Français, Louis Daguerre, et révolutionnée par le Britannique William Talbot qui met au point, en 1841, le procédé du négatif – autorisant la reproduction d‘une multitude de clichés à partir de la même matrice « calotype » -, la photographie (le terme est inventé à la même époque par le Franco-Brésilien Hercule Florence) fait la fortune de l‚entrepreneur américain George Eastman, fondateur de la marque Kodak en 1885.

La démocratisation de cet art autorisée par la commercialisation de pellicules souples, en lieu et place des coûteuses et encombrantes plaques photosensibles d‘antan, est rendue possible par l‚invention du celluloïd en 1876. La photo, jusque-là réservée aux élites, séduit des amateurs de plus en plus nombreux. Même si l‘équipement demeure onéreux, Mendelssohn-Bartholdy et von Martius sont persuadés que le grand public va se passionner pour cette nouvelle technologie.

En 1889, Kodak débarque en France. Représenté, pour l‚ensemble de l‘Europe, par le photographe des stars, Nadar, George Eastman inonde le marché de pellicules vingt-quatre poses. Prudent, Agfa se garde d‚attaquer de front le géant américain.

S‘inspirant de la réussite de Carl Zeiss qui produit en Prusse, depuis 1847, des optiques de qualité, les chimistes berlinois décident prudemment de laisser, dans un premier temps, de côté la production de négatifs photos. Désireux d‚apprendre ce nouveau métier auquel leur savoir-faire ancien ne les prédispose pas du tout, ils s‘associent d‚abord à un opticien du nom de Rietzschel et créent avec lui une usine d‘assemblage d‚appareils de prise de vues à Munich sous la marque, déposée en 1897, Agfa Photo.

C‘est un pari. Car Agfa n‚a, a priori , aucune légitimité dans ce domaine. L‘audace des dirigeants va néanmoins être récompensée par le succès de leur modèle Clack 1900 (peut-être inspiré du slogan de leur concurrent : « Clic Clac Kodak »). Simple d‚utilisation, fiable et surtout solide, cet appareil photo les fait connaître. Et la notoriété de la marque, ainsi acquise, leur permet de s‘attaquer à la production de pellicule pour le cinéma.

Kodak semble ne pas avoir perçu immédiatement l‚enjeu que représente la première projection de film réalisée par les frères Lumière le 22 mars 1895… Agfa s‘engouffre dans la brèche. Dès 1903, l‚entreprise allemande est leader mondial dans ce domaine. Fort de cette réussite, Agfa se tourne alors vers la production industrielle de pellicules photos. En lançant sur le marché, en 1912, les premiers autochromes – des plaques de verre recouvertes de fécule de pomme de terre – qui permettent de réaliser des clichés légèrement colorisés grâce au remplacement de certains sels par des grains de résine teintée, l‘allemand reprend la main sur l‚américain. Son avance technologique sur Eastman s‘accentue encore lorsque sortent les premières pellicules couleur en 1936.

Pour ce faire, l‚entreprise s‘appuie sur les géants de la chimie, Bayer et IG Farben – dont les accointances avec le régime nazi sont connues depuis la publication, en 1978, de l‚enquête de Joseph Borkin : The Crime and Punishment of I.G. Farben . Cette firme, qui produit le gaz Zyklon utilisé dans les camps d‘extermination va prendre, pendant près d‚une dizaine d‘années, le contrôle d‚Agfa. Décennie noire pendant laquelle la société recourt à la main-d‘oeuvre gratuite et forcée constituée par les déportés du camp de Dachau, pour produire appareils photos, pellicules et… talonnettes pour bottes à partir des chutes de celluloïd !

Cette compromission avec le régime hitlérien n‚empêche pourtant pas l‘entreprise de reprendre une activité normale après guerre. Epargnés par les procès de Nuremberg, ses dirigeants auront juste à reconstruire l‚usine à Leverkusen. Non que celle-ci ait été détruite par un bombardement mais parce que l‘essentiel de l‚appareil de production du groupe se situe derrière le rideau de fer qui vient de diviser le pays en deux.

Cette remise sur pied effectuée, Agfa diversifie ses activités. Productrice de bandes magnétiques à partir de 1949, sa fusion en 1964 avec l‘entreprise belge de photo Gevaert, la conduit à développer un département spécialisé dans l‚imagerie médicale : notamment la radiographie.

Avec le boum de la bureautique et de l‘informatique, elle produit, de nos jours, des photocopieuses et des imprimantes couleurs.