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[Libération] Bayer et IG Farben

Libération 12 novembre 2003

IG Farben, fin d‚une page noire de l‘Allemagne

Le groupe chimique, producteur du gaz mortel utilisé dans les camps nazis, a été placé en liquidation judiciaire.
La survivance, après la guerre, de IG Farben in Abwicklung, l‚entreprise chimique productrice du gaz Zyklon B utilisé dans les camps de la mort, représentait un scandale, y compris aux yeux de nombreux Allemands. Cinquante-huit ans après l‘effondrement du régime nazi, coupable de la mort de 6 millions de juifs en Europe, le conglomérat chimique vient enfin d‚être placé en liquidation judiciaire, refermant ainsi l‘un des épisodes les plus sombres de l‚histoire allemande.
Créé en 1925, IG Farben fut, jusqu‘en 1945, le numéro un mondial de la chimie. Travaillant en étroite collaboration avec les nazis, le conglomérat, qui contrôlait plus de 200 sociétés, s‚est rapidement trouvé impliqué dans la politique d‘extermination des juifs, gérant en direct le camp d‚Auschwitz.ÊAu zénith de ses funestes activités, IG Farben employait 190 000 personnes, parmi lesquelles 80 000 travailleurs forcés. En 1948, treize dirigeants du conglomérat chimique furent condamnés par un tribunal militaire à des peines allant de six mois à six ans de prison.

Polémique.
Le nom de IG Farben reste indissociable du Zyklon B, le gaz mortel mis au point par la société Degesch, une filiale à 42,5% de IG Farben et de Degussa, une autre entreprise chimique. C‘est également à cause de Degesch que Degussa est aujourd‚hui au centre d‘une polémique concernant la construction du Mémorial de l‚Holocauste, à Berlin. Degussa était censé fabriquer le produit antigraffitti destiné à protéger les 2 700 stèles de béton rendant hommage aux juifs assassinés.
Après la guerre, les Alliés décidèrent de démembrer le groupe. Les activités sans lien direct avec le nazisme ont été réparties dans de nouvelles sociétés telles que Bayer, BASF, Agfa, et Hoechst, devenues des piliers de la chimie allemande. Les entreprises impliquées dans la Shoah ont été regroupées dans IG Farben in Abwicklung, une société chargée de régler divers contentieux avant de s‘autodissoudre.Ê Mais chaque année de nouvelles procédures ont entravé ce processus. „Quand nous avons été mandatés pour liquider la société, il y avait encore 500 procès en cours, explique l‚un de ses deux administrateurs, Otto Bernhardt, par ailleurs député CDU (chrétiens-démocrates). Il nous a fallu près de cinq ans pour venir à bout de cette montagne de contentieux. Il y avait des procès d‘anciens salariés, des procès de propriétaires estimant que leurs terrains avaient été contaminés… “

Société spéculative.
IG Farben aurait dû être liquidé dans les années 80. Mais „la réunification allemande a relancé une deuxième vague de contentieux“, explique encore Otto Bernhardt. Les petits actionnaires, dont quasiment aucun ne détient plus de 5 % de la société, espéraient alors pouvoir récupérer des participations dans les industries chimiques est-allemandes comme Leuna, ou, plus rémunérateurs encore, des actifs placés avant-guerre par IG Farben en Suisse. Au fil des années, IG Farben in Abwicklung s‚était transformé en société spéculative, notamment dans le secteur immobilier.ÊCes petits spéculateurs ou héritiers d‘anciens salariés du groupe chimique, accusent aujourd‚hui les administrateurs d‘avoir provoqué le dépôt de bilan pour protéger une ancienne filiale d‚IG Farben, détentrice d‘un juteux portefeuille d‚actions… „Nous avions presque achevé le travail, explique OttoÊBernhardt. Il ne nous restait plus qu‘un immeuble de 500 appartements à vendre. Il s‚est avéré que le repreneur n‘était pas solvable, c‚est pourquoi nous avons dû déposer le bilan de la société.“ Les associations de travailleurs forcés qui représentent près de 400 000 personnes, sont également furieuses. Si BASF, Bayer ou Hoechst ont contribué à alimenter le fonds d‘indemnisation allemand des travailleurs forcés du nazisme, négocié en 2001 (d‚un montant total de 5,1 milliards d‘euros), IG Farben in Abwicklung ne leur a pas versé le moindre centime. (Odile Benyahia-Kouider)