LE MONDE, 17.12.2012
Alerte sur la pilule
C‚ est une première en France que cette plainte au pénal contre une pilule contraceptive. Une jeune femme lourdement handicapée, Marion Larat, accuse la pilule de troisième génération Meliane, fabriquée par le géant pharmaceutique allemand Bayer, d‘avoir provoqué son accident vasculaire cérébral. Vendredi 14 décembre, elle devait déposer plainte pour „atteinte involontaire à l‚intégrité de la personne humaine“ contre le directeur général de Bayer Santé, auprès du procureur de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Plainte qui vise également le directeur général de l‘Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), qui n‚a pas demandé le retrait de cette pilule du marché, „en violation manifestement délibérée du principe de précaution“. Son avocat, Me Jean-Christophe Coubris, dont le cabinet assiste 2 500 victimes du Mediator, entend „sensibiliser la population aux dangers de la pilule“. „Pourquoi les pilules de troisièmegénération, qui sont plus coûteuses, plus dangereuses et pas plus efficaces que les précédentes, demeurent-elles sur le marché ?“, interroge-t-il. Marion Larat prenait la pilule Meliane depuis quatre mois lorsqu‘un AVC l‚a plongée dans le coma. Elle en garde de graves séquelles.
La commission régionale de conciliation et d‘indemnisation des accidents médicaux de Bordeaux a reconnu en juin 2012 l‚imputabilité de l‘AVC à la prise de la pilule.
A l‚instar de Bayer, les laboratoires qui fabriquent les contraceptifs oraux de 3e génération (contenant pour progestatif du désogestrel, du gestodène ou du norgestimate) et de 4e génération (à la drospérinone), ne nient pas les risques accrus de thrombose liés à la prise de leurs pilules. Ils se protègent juridiquement en les détaillant sur des notices d‘utilisation que bien peu d‚utilisatrices lisent. Mais à l‘époque où Marion prenait Meliane, la notice ne mentionnait pas l‚augmentation du risque thromboembolique artériel par rapport aux contraceptifs oraux de 2e génération, lit-on dans la plainte.
Depuis peu, les parents de Marion ainsi que Pierre Markarian, père d‘une autre victime (Théodora, décédée à 17 ans d‚une embolie pulmonaire, en 2007, après quelques semaines de prise de la pilule Mercilon), sont reçus par toutes les autorités sanitaires. A peine étaient-ils sortis du ministère de la santé, le 19 septembre, que Marisol Touraine annonçait le déremboursement, qui prendra effet en septembre 2013, des pilules de 3e génération – celles dites de 4e génération ne sont pas remboursées. Dès juin, la ministre avait été alertée par l‘avis de la commission de transparence de la Haute autorité de santé (HAS) qui, au regard du danger présenté par ces pilules, estimait qu‚elles ne devaient plus être prises en charge.
Cette première plainte au pénal, comme le déremboursement programmé, interviennent dans un contexte de montée des inquiétudes et des procédures judiciaires, un peu partout dans le monde occidental, à l‘encontre de ces contraceptifs oraux. Aux Etats-Unis, au Canada, en Australie, en Suisse et en Allemagne, des milliers de plaintes ont été déposées ou sont à l‚étude. Sollicités à multiples reprises par Le Monde, les laboratoires Bayer n‘ont pas souhaité répondre à nos questions.
Des risques prouvés
La première alerte a été lancée en 1995, quand l‚organisme de pharmacovigilance britannique, se fondant sur trois études épidémiologiques, a restreint l‘utilisation des pilules de 3e génération du fait d‚un risque deux fois plus élevé de phlébite et d‘embolie pulmonaire qu‚avec les pilules précédentes. Depuis, d‘autres études, portant notamment sur une vaste cohorte danoise, sont venues confirmer l‚excès de risque.
Il reste toutefois difficile de savoir combien d‘effets secondaires graves et de décès leur sont imputables en France. Le lien entre accident cardio-vasculaire et prise d‚une contraception n‘est pas toujours fait par les médecins. Et les cas potentiels sont loin d‚être systématiquement transmis aux centres de pharmacovigilance par les praticiens ou les victimes. L‘Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) évalue par extrapolation des risques à une cinquantaine le nombre annuel de décès en rapport avec des contraceptifs oraux. Mais elle ne fournit aucune donnée chiffrée sur les cas recensés en France. Parmi les dizaines de cas dont l‚Association des victimes d‘embolie pulmonaire (AVEP) créée par M. Markarian a eu connaissance, aucun n‚a fait l‘objet d‚un recensement officiel.
Des alertes répétées
La commission de transparence de la HAS, qui évalue les médicaments en vue d‘un remboursement, a été la première autorité sanitaire en France à prendre des mesures face à l‚excès de risques thromboemboliques, encore mal évalué à l‘époque, associé aux pilules de 3e génération. Dès 2007, elle préconise de ne plus les prescrire en première intention, c‚est-à-dire de prime abord. „Mais notre position n‘a pas eu d‚impact“, déplore le professeur Gilles Bouvenot, président de la commission de transparence de la HAS.
En juin 2012, cette commission rend un nouvel avis, plus sévère encore. „Les nouvelles données disponibles ne permettent même plus de positionner les contraceptifs oraux de 3e génération en deuxième intention.“ Le service médical rendu de ces contraceptifs est rétrogradé d‘„important“ à „insuffisant“. Plus dangereux, n‚apportant rien, ils ne méritent plus d‘être remboursés. Quant aux pilules dites de 4e génération (Jasmine, Jasminelle, Yaz…), elles ne sont pas concernées par l‚évaluation puisque non-remboursées.
Avec un temps de retard, l‘ANSM recommande le 1er octobre de prescrire en première intention, c‚est-à-dire pour la première fois, des contraceptifs de 2e génération.
Quelle place, alors, réserver aux pilules de 3e et 4e génération dans l‘arsenal contraceptif ? Le ministère de la santé a saisi la HAS pour une évaluation de toutes les méthodes de contraception. Mais pour le Pr Bouvenot, la messe est dite : „Les pilules de 3e génération ont une place extrêmement restreinte, seulement pour des femmes qui ne toléreraient aucune autre contraception.“
Dans un pays où prédomine toujours le tout-pilule, le docteur Elisabeth Paganelli, secrétaire générale du Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France, regrette le déremboursement de ces contraceptifs, et leur dénigrement qui risque de détourner les femmes d‚une contraception. „Même si cela n‘est pas étayé par des études épidémiologiques, nous constatons sur le terrain que les pilules de troisième génération font mieux que les précédentes sur l‚acné ou sur une hyperpilosité“, souligne-t-elle.
„Les pilules de 3e génération et plus gardent une place en deuxième intention, quand un contraceptif de 2e génération est mal toléré ou ne résout pas les problèmes annexes, comme l‘acné“, ajoute Brigitte Raccah-Tebeka, gynéco-endocrinologue à l‚hôpital Robert-Debré (Paris). Qui précise être ponctuellement expert auprès du laboratoire Bayer.
Quant aux risques thrombo-emboliques des contraceptifs, ils sont perçus, par beaucoup des prescripteurs interrogés, comme „minimes“ voire „exceptionnels“. Ces arguments expliquent en partie pourquoi le message de la HAS ne passe pas auprès des médecins.
Un véritable succès commercial
Les prescriptions continuent en effet de croître. En 2010, les pilules de 3e et 4e génération représentaient environ 50 % des ventes en France alors qu‘en 2000, cette proportion n‚était que de 39 %, relève la directrice de recherche à l‘Inserm Nathalie Bajos. „Un scandale, dénonce-t-elle. Une jeune fille sur deux demandant une contraception orale pour la première fois se voit prescrire une pilule de 3e ou 4e génération. On prend le risque de la rendre handicapée ou de la tuer alors qu‚existent des alternatives.“
Rien n‘évolue, suppute-t-elle, puisque sur les bancs de l‚université, on enseigne encore que la 3e génération est mieux tolérée par les femmes. Puisque les laboratoires ont une place prépondérante dans la formation continue des médecins. Et que l‘idée selon laquelle les pilules moins dosées en oestrogènes ont nécessairement moins d‚effets secondaires court toujours.
La demande des jeunes filles, enfin, est forte. Ces pilules plus récentes, donc perçues comme plus performantes, bénéficient du puissant marketing des laboratoires. Le professeur Vincent Renard, président du Collège national des généralistes enseignants, évoque aussi des „intérêts commerciaux“. „On sait l‘influence des labos sur les principaux prescripteurs. De plus, la presse féminine très influencée par les effets de mode et les retombées publicitaires, ne cessait, jusqu‚à récemment, de vanter les nouvelles pilules. “ Alors que pour ce praticien de terrain, le surrisque des pilules de 3e et 4e génération „même faible, est peu acceptable“.
Des médecins tenus d‘informer
En attendant les conclusions des autorités de santé, les médecins ont désormais pour consigne claire d‚expliquer que ce sont les pilules 2e génération qui doivent être prescrites la première fois et que les 3e et 4e génération comportent des risques supplémentaires de thrombose. Si la jeune fille insiste, ils doivent rechercher scrupuleusement les facteurs de risques et même décrire les signes avant-coureurs de thrombose, a précisé l‘ANSM. La réalité est souvent autre.
„Les raisons de rester à la 2e génération ne sont pas aisées à expliquer aux jeunes filles qu‚il ne faudrait pas décourager de prévenir une grossesse, note Lise Duranteau, gynécologue et endocrinologue à l‘hôpital du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne). Je crois aussi que mes confrères ne posent pas forcément les bonnes questions, ne fouillent pas le moindre signe. Il y a ceux qui ont été sensibilisés parce qu‚ils ont vécu un accident de près, et les autres…“
Comme l‘Association française du planning familial, qui voit dans le déremboursement prévu un mi-chemin „totalement incohérent“, les victimes réunies par l‚AVEP réclament le retrait du marché pour ces pilules. Ou, à défaut, une information massive des médecins et patientes ainsi qu‘un dépistage sanguin systématique, chez les femmes, des anomalies de coagulation – hypothèse dont l‚intérêt médical et l‘impact financier sont actuellement étudiés à la HAS. La vie brisée de Marion, rappelle sa mère d‚une voix qui soudain s‘éteint, coûtera 3 ou 4 millions à la Sécurité sociale. Par Sandrine Cabut, Pascale Krémer et Pascale Santi
voyez aussi:
· Yaz / Yasmin: Les victimes demandent leur interdiction
· Libération: Nouveaux doutes sur la pilule
· Pilule contraceptive : Bayer dissimule le nombre des décès
· Yaz et Yasmin: plus d’effets secondaires graves que la génération précédente